Je me suis souvent demandé quelle était la nature du lien possible avec autrui ? Comment faire pour se sentir à la fois libre et en relation ? Pourquoi certaines personnes sont-elles empêchées d’avoir des relations authentiques où l’autre a toute sa place ? ou bien pourquoi ne peuvent-elles vivre que des relations « dans lesquelles l’un n’est nullement présent à l’autre, ne se présente pas à lui, où chacun se borne à jouir de soi même à propos de l’autre » (Buber, 1969) Notre culture occidentale repose sur l’idée de la séparation des consciences entre elles. L’Autre est perçu comme un absolument autre, et les différences entre les personnes vécues comme des obstacles à la communication. Il est tentant de transposer ce raisonnement dans la sphère relationnelle où deux pulsions très encombrantes font obstacle à la relation : le désir de fusion et le désir d’emprise. L’enjeu relationnel est le même dans les deux cas : supprimer la différence. Le processus de formation de l’identité passe par deux dimensions symétriques : l’identification qui permet de se construire comme l’autre et la différenciation qui permet de se construire en tant que soi. Etre soi, vivre sa différence en respectant celle de l’autre, sans le nier ni l’agresser, est un chemin de différenciation. Ce processus de différenciation est impératif pour assurer le fondement de son identité et pour s’ouvrir à l’altérité. L’insuffisance de confirmation existentielle constitue un obstacle à ce chemin d’individuation. Des difficultés à ce niveau vont entraîner à l’âge adulte des problèmes identitaires et des désordres dans la relation. Il sera difficile d’assumer sa propre différence et on se trouvera face à des situations où il n’y a pas de place pour deux, où l’on ne peut être que tout puissant ou écrasé, humiliant ou humilié, où si l’un existe l’autre disparaît... « J’ai besoin que l’autre soit d’accord avec moi, voie les choses comme moi pour me sentir bien, s’il ne fait pas un avec moi, je n’existe plus », dit Flora, une de mes patientes. Les pathologies narcissiques sont un exemple de cet échec à entrer en relation d’échange réciproque avec autrui. C’est parce que j’ai dans ma clientèle de nombreux patients souffrant d’un manque de confirmation existentielle que j’ai décidé d’écrire cet article. Deux auteurs ont plus particulièrement étudié les pathologies narcissiques, Kohut et Kernberg. J’ai choisi de me référer à Kohut qui est avant tout un psychanalyste «humaniste ». Ce dernier a changé le climat des séances avec son approche empathique, si importante pour les clients souffrant de blessures narcissiques et son modèle développemental basé sur des déficits plutôt que sur des conflits intrapsychiques. Sa conception du narcissisme me paraît précieuse dans l’approche des troubles narcissiques et, bien qu’elle soit psychanalytique, elle peut être utilisée et transposée dans une approche gestaltiste. J’ai regardé comment la Gestalt expliquait ces troubles, à partir des concepts de Noël Salathé et de la PGRO (psychothérapie gestaltiste des relations d’objet) à travers les écrits de Gilles Delisle. Pour illustrer ma posture face à ce type de problématique, je m’appuierai sur mon travail avec Flora, et sur les pistes que j’ai suivies pour l’amener à plus de construction identitaire en m’inspirant de ce qu’a conceptualisé Winnicott, si proche par certains aspects de Kohut. En regard de l’approche théorique que je vais développer, on pourra constater que Flora, dont il est question dans les pages suivantes, est bien confrontée à des troubles narcissiques, sans pour autant avoir développé une personnalité narcissique au sens du DSM.

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