Une place différente pour le PSY Le thérapeute ne peut plus rester, de nos jours, dans son cadre confortable, isolé dans sa tour d’ivoire en retrait du monde, et seulement analyser les transferts individuels. Le psychanalyste recevait traditionnellement des patients névrosés appartenant à la bourgeoisie, voire à la haute bourgeoisie ou à l’aristocratie. D’une façon contrastée à ce passé, de nombreux jeunes patients en quête de repères et d’équilibre réussissent difficilement leur insertion professionnelle et/ou gèrent avec difficultés leur vie amoureuse. La brutale évolution des mœurs offre des références morales multiples souvent superposées créant des confusions et des questionnements remplis de paradoxes.

Des psy constatent au quotidien les carences ou la confusion des valeurs chez nombre de leurs patients dont certains peuvent être considérés comme « malades des idéaux ».

Ces personnes essayent de reprendre, dans leur histoire personnelle, des valeurs glanées qui s’imposent comme impératives mais sans en posséder le mode d’emploi. D’autres, de plus en plus nombreuses, se retrouvent privées du minimum de références indispensable à l’émergence de désirs.

Face à la difficulté de trouver un sens à leur vie, certains restent dans l’oisiveté, l’aide sociale, d’autres demeurent dans un vide existentiel propice au développement de pathologies diverses.



La Psychanalyse en question

La psychanalyse est d’abord un moyen d’investigation puissant et un passage privilégié (je ne dirai pas obligatoire afin de ne pas mettre la psychanalyse en position de toute puissance) dans le cursus du psychologue clinicien, du psychothérapeute et du psychiatre. Comment écouter, aider, soigner un patient lorsque l’on n’est pas un minimum au clair avec soi-même et ceci ne peut se concevoir qu’au terme d’un long travail personnel.

Cette idée d’une introspection indispensable de soi-même existe depuis longtemps dans la philosophie du « connais toi toi-même » de Socrate. Des philosophes comme les essais de Montaigne mais aussi Descartes, Schopenhauer, Nietzsche et quelques autres posèrent les bases d’un questionnement du moi largement repris dans la psychanalyse.

La visée thérapeutique de la psychanalyse est malheureusement plus problématique.

Son champ d’application initial était naturellement celui des névroses classiques, abondantes dans le milieu viennois de ce début du 20e siècle. Cette méthode se propose aux patients cultivés capables d’un travail de longue haleine et qui possèdent des mécanismes psychiques permettant l’insight. Cette cure psychanalytique utilise comme méthode de travail l’association libre, l’interprétation des rêves, des actes manqués, et du transfert, et vise la conscientisation d’un refoulement qui doit permettre la disparition du symptôme.

Mais pas si simple, un exemple : dans les phobies, le symptôme est surdéterminé et installe des bénéfices secondaires. Dans ce cas de figure, la levée des causes n’entraîne que rarement la disparition du symptôme. Autre écueil, les contre-indications de la psychanalyse sont de plus en plus nombreuses et certains psychanalystes proposent cette méthode thérapeutique au tout venant au risque souvent vérifié d’un résultat aléatoire au terme d’un travail de très longue haleine.

La multiplication des contre indications peut s’analyser dans la logique psychanalytique elle même. La société favorise la libération du çà (que l’on retrouve dans l’hédonisme contemporain refusant les frustrations) et multiplie le nombre de sujets en particulier d’états limites hors de la névrose.

D’une autre façon, l’insuffisance de l’idéal du moi ou la constitution d’un surmoi problématique ne sont pas des indications orthodoxes de la psychanalyse.

Les nouvelles pathologies mentales

Les plus souvent rencontrées, dépressions, addictions, pathologies narcissiques, et maladies d'idéalités (insuffisamment reconnues).

La dépression qui se développe à partir d'une perte (ou d'un manque) d'investissements et de liens est corrélée fréquemment avec des addictions. Dans cette problématique, la focalisation massive vers une recherche de plaisir unique prive la personne d’investissements satisfaisants qui pourraient construire un sentiment de fierté, de confiance en soi et des liens affectifs nécessaires. Chez les personnes addict, rechercher l’euphorie est un moyen de repousser les manifestations dépressives en alimentant le narcissisme qui se sent provisoirement invulnérable. Le désinvestissement des autres domaines de la vie (vie amoureuse, vie professionnelle, vie familiale), amène en conséquence la perte de socialisation et la perte de contrôle et de la confiance de soi qui est manifestement contraire à la sagesse.

Les pathologies narcissiques et les troubles de l'idéalité sont plus complexes à aborder mais bien utiles pour comprendre bon nombres de dérives actuelles.

Quelques mots pour apercevoir le rapport entre les troubles narcissiques et la maladie d'idéalité ?

Le narcissisme est un stade intermédiaire de l'évolution de l'enfant se situant entre l'auto-érotisme et l'amour objet. L'idéal du moi désigne une formation intrapsychique relativement autonome qui sert au moi de référence pour apprécier ses réalisations effectives et se trouve être le substitut de la perfection narcissique primaire. Son origine est donc principalement narcissique. Ce que le sujet présente devant lui comme son idéal est le substitut du narcissisme perdu de son enfance; en ce temps-là il était à lui même son propre idéal. Durant l’évolution de l’enfant, cette fonction est une tentative de reconquête de la toute puissance narcissique perdue elle permet d’échapper à la perversion. La fonction de l'idéal du moi a un rôle majeur puisqu'elle permet de comprendre la fascination amoureuse , la dépendance à l'égard de l'hypnotiseur et la soumission au leader : autant de cas où une personne étrangère est mise par le sujet à la place de son idéal du moi. L'idéal collectif tire son efficacité d'une convergence des « idéal du moi » individuels, plusieurs individus mettent un seul et même objet à la place de leur idéal du moi. Ce principe même permet de comprendre la constitution du groupe humain.

L’idéal du moi est un phénomène anthropologique spécifique par lequel l’homme dépasse la simple recherche de satisfaction instinctuelle, étudier l’idéal du moi c’est donc étudier ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, ce qui l’éloigne le plus de l’animal.

Les sujets-limites (au limite de la folie) sont les plus vulnérables aux crises idéologiques de la société. « Les patients au narcissisme fragile sont avides de certitudes idéologiques car ils investissent le Surmoi collectif et les idéologies comme un étayage pour leur Surmoi individuel inachevé et leurs carences représentatives. » (François Duparc).

Les maladies d’idéalité ne trouvent pas leurs résolutions par des interventions interprétatives, elles nécessitent l’utilisation, l’apport, de références solides philosophiques, artistiques, scientifiques reconnues qui permettent d’apporter des repères solides et donc de compléter des organisations psychiques insuffisamment structurées.

Pour une intervention adaptée à la personne

Chaque personne venant consulter représente un cas particulier qu’il est nécessaire d’investiguer pour réussir l’orientation vers une des nombreuses possibilités psychothérapiques existantes. Sans en faire une liste exhaustive, en voici quelques-unes des plus utilisées actuellement :

-Les psychothérapies de couple qui sont des thérapies brèves et ne durent souvent qu’une dizaine de séances répondent à une demande qui se multiplie parallèlement aux remises en cause des couples. Ces thérapies dénouent les conflits et améliorent la communication ; de nombreux couples trouvent ainsi un second souffle.

-Les psychothérapies de groupes permettent un premier accès pour comprendre les mécanismes psychiques et être confronté à l’épreuve de sociabilité qu’exige le groupe.

-La relaxation analytique proposée lors de périodes de fortes angoisses apporte une détente rapide des tensions corporelles et compense des manques archaïques générateurs de troubles.

-La psychothérapie classique d’inspiration psychanalytique PIP (ou,dans certains cas, la psychanalyse) met en place les conditions nécessaires à l’élaboration et à la résolution des problèmes névrotiques qui développent des répétitions qui ne trouvent pas d’elles-mêmes les solutions.

-Les psychothérapies comportementales et cognitives TCC dédiées fréquemment aux phobies, aux addictions et aux troubles du comportement.

-La psychothérapie mixte (psycho-philosophique) adaptée au monde contemporain est opérante dans les cas de plus en plus nombreux de pertes de repères, de difficultés à trouver un cheminement, de changement de classes sociales et de changements de références culturelles. Cette forme de psychothérapie permet de replacer la personne errante dans une position active comme citoyen de l’humanité. Elle est capable d’apporter satisfaction et confiance en soi et donc un changement notable de positionnement. Le recours aux sagesses de la Grèce antique apporte une stabilité contrastée avec les velléités de l’hédonisme contemporain. Les écoles philosophiques de l'Antiquité fournissent à l'homme contemporain différents modèles qu'il peut utiliser selon les circonstances.

Le stoïcisme comme remède à l’hystérie contemporaine

La provocation est à la mode, qu’elle soit vestimentaire, érogène, verbale ; cette provocation est un défi permanent qui contient des passages à l’acte violents graves de conséquences. Entre la tentation attisée par la publicité pour consommer davantage et l’interdit de toucher et de prendre le corps ou l’objet présenté, certains ne peuvent contenir leurs pulsions. Les lois peuvent être sévères pour celui qui ne conserve pas la maîtrise de lui-même et les prisons sont pleines de ces gens qui ne peuvent se retenir de leurs envies.

C’est un premier exemple de ce que les sagesses antiques sont riches d’enseignement et de références et ouvre la voie aux réflexions de tout un chacun, là se trouve le stoïcisme.Un des piliers de la sagesse antique, il est une tradition d'un style de pensée et de vie. De Zénon en passant par Epictète, Sénèque, Marc Aurèle, en terminant par Montaigne ce fut une longue création continue. Comme le conseille Nietzsche, nous pouvons, lorsque c’est utile, utiliser des recettes stoïciennes.

Dans cette période où la pollution industrielle, agricole et la densification de la population en certains lieux posent problème, le stoïcisme prône la réconciliation et l’accord avec la nature, vivre en harmonie avec elle, pour être heureux il faut se conformer à la nature.

L’argent roi, affiché par la publicité et mis en valeur par certains politiciens est largement atténué par le stoïcisme. L’argent permet une certaine indépendance mais son utilité n’existe qu’en fonction de nos besoins.

Les nombreux changements d’opinion, la discontinuité des rythmes de travail, de sommeil, d’activités diverses se trouvent recadrés par la rigueur stoïcienne. Il faut savoir prendre les décisions correctement avec stabilité et invariance. Les insensés « donnent un assentiment faible et essentiellement mouvant » qui peut changer tandis que le sage donne un assentiment ferme et stable.

Face aux modes médiatiques qui aplanissent les pensées pour formater et déformater au gré d’un engouement futile, la réponse de Sénèque, plus actuelle que jamais, met en garde contre le conformisme « rien ne nous démarque plus de la foule que la richesse de la vie intérieure »

Pour savoir rester mesuré face aux addictions, il faut rester stoïquement prudent et savoir s’opposer aux passions destructrices.

Face aux « galères » (pour prendre le mot contemporain) qui ne manquent pas de nous arriver à tous, le conseil c’est de vivre debout en affrontant les blessures existentielles.

Le bonheur est une question de savoir-vivre pour les stoïciens, c’est un état où il n’y a pas de crainte, c’est un art de la vie, le bonheur fait plaisir et le plaisir est un effet du bonheur.

La sagesse épicurienne face à la toute puissance des désirs

Dans le langage courant actuel, l'image de l'Épicurien est celle du jouisseur de la bonne chair et du sexe, la jouissance sans limite, elle ne correspond pourtant pas à la théorie épicurienne. Pour certains, le Jardin d’Epicure était un lieu de débauche, mais de telles idées semblent largement excessives et cette renommée bien éloignée de la théorie épicurienne.

La vie que mena Epicure dans son jardin fut simple et frugale, il était végétarien, un verre de vin lui suffisait, et il buvait de préférence de l'eau, il professait et pratiquait un hédonisme ascétique. La gestion « intelligente » de la sensualité tenant compte du désir et du consentement de son partenaire permet de donner à la sensualité une vraie place vertueuse et indispensable à la vie.

L’épicurisme désigne la terre ici et maintenant comme lieu où le bonheur doit être recherché. Pour y accéder, satisfaire d’une façon raisonnée les plaisirs dans le cadre d’une vie sage, tempérée, contemplative et vertueuse. Epicure enseigne que ce ne sont pas les beuveries continuelles qui rendent la vie heureuse, ni les plaisirs des débauchés ni les jouissances matérielles, mais au contraire une raison vigilante qui cherche minutieusement les motifs de ce qu’il faut choisir ou éviter. L’épicurien respecte les vrais besoins de la nature et refuse ce qui en dépasse les limites. La modération est une vertu importante. Le choix de vivre sans troubles, l’ataraxie, implique le respect des lois pour éviter les sanctions de la société qui veut protéger ce qui est utile. Le droit et le plaisir sont basés sur l’intérêt mutuel et la réciprocité, avec une attention particulière pour que la satisfaction des désirs se fasse dans le respect des désirs de ses partenaires.

L’hédonisme « à la Fréderic Beigbeder », du fric pour faire la teuf et la teuf pour avoir du sexe est bien éloigné de la pensée d’Epicure qui considère que le plaisir est un bien tellement précieux qu'il faut le gérer avec soin et modération. Cette philosophie simple, facilement compréhensible est puissante. Rapidement utilisable même sans culture philosophique spécifique, l’épicurisme permet d’accéder à une retenue et une sagesse souvent manquantes dans notre monde actuel.

Le scepticisme pour discerner le vrai du faux semblant

L’évolution de la société va dans le sens d’une plus grande écoute de notre sensibilité et de notre ressenti, certains même se trouvent sous une telle dépendance de leurs sensations qu’ils en perdent toute sagesse.

Ce courant philosophique permet de prendre des distances de nos sensations avec l’idée que « les sens nous trompent ». Douter de l’information donnée par les sens suppose une distinction entre l’apparence et la réalité, entre une illusion première et une vérité conquise en dépassant cette illusion. Or, c’est précisément cette distinction entre l’être et le paraître que refuse le scepticisme. Ce refus est le pilier sur lequel est construite cette philosophie.

A l’égard de la religion, de la politique, comme à l’égard de nombreux dogmes, l’attitude sceptique n’est pas une attitude de rejet mais une acceptation ironique. Si dire c’est penser, il convient de se moquer des fictions du langage dans et par le langage.

Pour nous prémunir contre des idéologies et des concepts incertains comme ils furent nombreux pendant le XXe siècle, la sagesse est de s’en tenir aux valeurs basiques ancestrales, ceci nous obligeant à un exercice d’équilibre léger et permettant d’accéder au libre esprit. Il faut prendre garde à toutes les illusions dangereuses véhiculées par la parole.

Conclusion

Toujours dans le respect de sa déontologie, restant neutre discret et bienveillant vis à vis de ses patients, le Psy contemporain doit cependant apporter des réponses au risque d'être impuissant, partial ou inadapté à son époque. Face à des repères sociaux, culturels, politiques, religieux variés, la recherche d'une sagesse apporte un minimum de stabilité nécessaire à toute investigation.

Outre le choix de la technique psychothérapique la mieux adaptée à chaque cas, le rappel des grands philosophes grecs sont des étayages solides pour nos patients souvent azimutés mais désirant trouver un équilibre et un sens à sa vie. C'est une véritable éducation au bonheur.