A lire....
"Freud astronome de l'inconscient.
Peut-être suffit-il de quelques phrases pour démystifier tout le parcours de celui qui voulu être l'égal de Copernic et Galilée réunis ? Celui qui aurait soi-disant réussi une « rupture épistémologique majeure » avec la psychologie de son temps sans toutefois en reprendre les travaux issus de la tradition de tests scientifiques qui l'a précédé. Celui enfin qui tout en travaillant dans un isolement qui fera de lui ce héros auto proclamé de sa nouvelle science privée, (laquelle n'est sortie que de l'auto-analyse de ses propres délires alimentés à doses massives de cette magique substance, la cocaïne, ainsi que d'autres inventions rocambolesques qui ont fait long feu depuis les travaux des historiens comme Jacques Bénesteau, Robert Wilcoks, Allen Esterson, Frederick Crews, Frank Cioffi, et tant d'autres encore), affirmera mordicus que cette imposture sans aucun précédent dans l'histoire des idées, était la science du psychisme, et pourquoi pas la « science des sciences »...
Malgré l'héroïsme freudien, dès les débuts de la psychanalyse, de vives objections s'élevèrent contre les revendications de scientificité de son Père fondateur. Voici l'une de ses vaines protestations que nous livrent Borch-Jacobsen et Shamdasani dans leur Dossier Freud (p. 205) :
« Vous savez que récemment les médecins d'une université américaine ont dénié à la psychanalyse le caractère d'une science en alléguant qu'elle ne pouvait fournir aucune preuve expérimentale. Ils auraient alors tout aussi bien pu faire la même objection à l'astronomie, car les expériences pratiquées sur les corps célestes sont particulièrement malaisées ». (S. Freud)
Voici maintenant ce qu'écrit le Professeur J. Allan Hobson, professeur de psychiatrie à la Harvard Medical School et directeur du Laboratoire de neurophysiologie au Massachusetts Mental Health Center, et qui répond à la perfection à la protestation de Freud. Rappelons que le professeur Hobson est mondialement connu pour avoir démontré scientifiquement l'effondrement total du pilier central de la psychanalyse : la théorie des rêves. Il fut aussi celui qui invalida les travaux de Mark Solms, basés sur des I.R.M., en démontrant qu'ils ne confirmaient en rien les théories de Freud. Hobson reprend, dans cette citation, la prétention de Freud à comparer sa psychanalyse à une science équivalente à l'astronomie. Il écrit :
« Freud remarque que certains médecins d'une université américaine non citée refusent déjà à la psychanalyse un caractère scientifique, parce qu'elle ne peut apporter de preuve expérimentale de ses postulats (1932). Il réplique en dressant un parallèle entre l'astronomie et la psychanalyse. Personne ne reprochant à l'astronomie de n'être pas scientifique parce qu'elle éprouve des difficultés à faire des expériences sur des corps célestes, il est donc injuste - aux yeux de Freud - de critiquer la psychanalyse parce qu'elle ne fait pas d'expérience sur l'esprit inconscient et ses idées. Si Freud a raison d'observer qu'en psychanalyse comme en astronomie on se trouve limité aux observations à distance, son analogie passe par-dessus deux critères fondamentaux de la science : la mesure et la prévision. L'astronomie effectue les deux, la psychanalyse aucune ». (J. Allan Hobson. « Le cerveau rêvant ». Gallimard, Paris, 1988. Page 80).
Mais soyons reconnaissants et plus respectueux du génie, oublions les propos déstabilisants et récalcitrants du professeur Hobson, et marchons un moment sur les sentiers dorés de la légende freudienne...
Freud, comme Galilée, possédait donc son télescope (la magie de l'interprétation alliée au symbolisme délirant). Il l'avait d'ailleurs fabriqué lui-même. Dès lors, il pouvait comparer ses objets de recherche à des étoiles ou à des planètes, certes inaccessibles pour des observations empiriques, mais possédant la même valeur intrinsèquement scientifique, croyait-il, que les astres de son modèle : Galilée.
Comme on le lira dans ce qui va suivre, nous avons quelque peu détourné la définition que Freud lui-même donnait de son télescope. Il écrit au chapitre premier de son abrégé de psychanalyse, je cite : « Nous admettons que la vie psychique est la fonction d'un appareil auquel nous attribuons une étendue spatiale et que nous supposons formé de plusieurs parties. Nous nous le figurons comme une sorte de télescope, de microscope ou quelque chose de ce genre ». Pour Freud, le « télescope » n'est rien d'autre que la façon dont sont organisés le « ça », le « moi » et le « surmoi ». Pour nous, il subit une transformation (tout à fait libre) et devient ce qui est constitué par ses préjugés, ses attentes théoriques, sa théorie du symbolisme, sa méthode d'investigation des associations libres, et surtout sa méthode d'auto-analyse isolée par le recours à l'introspection. En bref, nous considérons que le télescope de Freud est constitué de tout ce qui va lui permettre d'avoir cet accès soi-disant privilégié à l'inconscient, et plus encore, au refoulé, mais en tenant compte du fait important que ces deux aspects de l'appareil psychique freudien seraient régis par un déterminisme absolu excluant tout hasard et tout non-sens. Là, réside toute l'originalité du télescope freudien, qui a son époque, lui permet de se démarquer de tous les autres en concurrence possible avec le sien.
Comment donc faisait Freud pour « voir » dans son télescope tant d'étoiles, de planètes, ces objets merveilleux de l'univers encore inexploré dans lequel il croyait s'aventurer ?
C'est fort simple, mais il nous faut quand même considérer que Sigmund Freud lui-même se plaçait très en avance sur son temps. Faisons de même.
Il utilisa donc des « négatifs », c'est-à-dire ses propres préjugés, ses fantasmes, ses rêves, qu'il plaça sur l'œilleton de son fabuleux télescope, exactement comme si un charlatan de l'astronomie avait planqué une photo dedans pour mieux exposer au regard des autres le résultat extraordinaire de sa nouvelle découverte. A travers ces négatifs, Freud voyait donc tout ce qu'il voulait voir, et l'image projetée sur la lentille ne pouvait jamais le mettre en défaut. Ces « négatifs » étaient de véritables filtres du réel que Freud croyait découvrir de manière indépendante, comme Galilée. Ils étaient la réalité que Freud confondait allègrement avec le réel quand il ne la lui substituait pas totalement. Mais Ils possédaient eux aussi, une propriété extraordinaire que les plus grands artistes de la photographie ne leur renieraient pas encore aujourd'hui ou demain. C'était des négatifs qui ne pouvaient se tromper. Ils étaient auto-déformables à volonté, parce que les yeux de celui qui regardait à travers étaient également capables d'en modifier l'aspect. Comment était-ce possible ? Freud n'avait qu'à rêver, penser, fantasmer, délirer, ou prendre de la cocaïne, et ses idées lui venaient à l'esprit, elles lui disaient comment faire pour changer la nature du négatif à coller sur l'œilleton de son télescope dans un infernal et éternel retour circulaire sur lui-même, de ses projections vers l'expression de ses fantasmes délirants.
On pourrait penser que les négatifs freudiens dont nous parlons, étaient en fait ses propres conjectures qu'il mettait à l'épreuve de l'observation, en bon poppérien qu'il fut, comme disent maintenant certains, en tentant d'enfourcher un mode de provocation nouveau...Mais Freud était tout sauf poppérien, et dans son état d'esprit, et dans ses façons de faire. Comme il le dit d'ailleurs lui-même, au lieu d'être un scientifique, il n'était qu'un Conquistador...Il ne se servit de ses préjugés et autres fantasmes (ses négatifs...) que pour observer d'abord en lui-même les choses de son propre esprit dans le cadre de ce qui allait constituer la matrice de toute la psychanalyse : sa propre auto-analyse introspective ! Comment pouvait-il alors prouver quoique ce soit de manière indépendante et intersubjective, en adéquation avec les célèbres injonctions épistémologiques de Karl Popper, sans même avoir le recul que lui aurait permit un observateur extérieur, que Freud, au contraire de Charcot dont il assista aux séances d'hypnose, acquis justement de répudier sans délai, dès l'Introduction à la psychanalyse ? Sur ce point, il me semble primordial de citer Freud :
« La conversation qui constitue le traitement psychanalytique ne supporte pas d'auditeurs ; elle ne se prête pas à la démonstration. (...) Quant aux renseignements dont l'analyste a besoin, le malade ne les donnera que s'il éprouve pour le médecin une affinité de sentiment particulière ; il se taira, dès qu'il s'apercevra de la présence ne serait-ce que d'un seul témoin indifférent. (...) Vous ne pouvez donc pas assister en auditeurs à un traitement psychanalytique. Vous pouvez seulement en entendre parler et, au sens le plus rigoureux du mot, vous ne pourrez connaître la psychanalyse que par ouï-dire. Le fait de ne pouvoir obtenir que des renseignements, pour ainsi dire, en seconde main, vous crée des conditions inaccoutumées pour la formation d'un jugement. Tout dépend en grande partie de degré de confiance que vous inspire celui qui vous renseigne ». (S. Freud. Introduction à la psychanalyse. Petite Bibliothèque Payot, 1981, p. 8).
Ces propos de Freud suscitent certains commentaires simples.
- Freud reconnaît donc que le traitement psychanalytique n'est pas démontrable. Ce traitement repose donc entièrement sur une approche dogmatique et subjective du réel qu'il étudie, et les historiens ont démontré que Freud co-fabriquait une réalité, à partir de ce réel, toujours « à deux », afin que sa réalité cadre au mieux avec le réel, ou qu'il ne soit connaissable qu'à partir de la réalité qu'il avait complètement fabulé. Soit entre lui et ses motivations théoriques au cours de son auto-analyse ; ou soit encore entre lui et ses patients dans le cadre ultra secret de son cabinet ou du bureau où il rédigeait ses interprétations sans jamais les soumettre à aucun contrôle extérieur, quelqu'en soit la nature et à n'importe quel moment du processus.
- Si le malade ne peut fournir à l'analyste des renseignements utiles à sa guérison qu'à la condition que s'instaure le fameux transfert, alors il devient rigoureusement impossible de garantir que les propos ou les associations prétendument libres du patient soient indépendantes des sentiments personnels qu'il éprouve vis-à-vis de son analyste et par suite qu'ils ne puissent dépendre de son influence, de quelque nature qu'elle soit.
- Si comme l'affirme récemment Daniel Widlöcher, la méthode des associations libres reste encore la méthode de recherche scientifique de la psychanalyse, il est clair que d'une part, dans le cas de la psychanalyse, l'objet même de la recherche se confond entièrement avec la méthode, et, d'autre part, que cet objet est toujours intimement lié à l'expérimentateur, qu'il ne peut être indépendant de lui. La recherche en psychanalyse a donc ceci de particulier qu'elle représente le cas où le scientifique ne peut jamais se départir d'un contact direct, permanent, et subjectif avec son objet de recherche, ce qui le place, d'entrée de jeu, hors du champ de toute véritable recherche scientifique...Freud aggrave encore le cas de la méthode analytique en précisant que les objets de recherche n'apparaissent plus si, justement, il n'y a même que le soupçon d'un contrôle indépendant !
Mais c'est la dernière partie de cette citation de Freud qui nous semble encore la plus significative et riche en enseignements sur la façon dont Freud lui-même entrevoyait sa propre position de géniteur de la psychanalyse. De tels propos, confirment très clairement les critiques les plus dévastatrices formulées par Bénesteau, Borch-Jacbosen et Shamdasani, parce que Freud, non seulement exclut tout possibilité de preuve scientifique véritable, et enfonce encore le clou du subjectivisme et de sa position de gourou auto-proclamé, de sorcier, en écrivant que ce n'est que par ouï-dire et grâce à la seule confiance que l'on a en sa seule personne, que l'on peut avoir connaissance de la psychanalyse. C'est exactement comme si Galilée n'avait jamais été confronté au Cardinal de Bellarmin, lequel lui aurait fait entièrement confiance, seulement par ouï-dire ! Voilà justement ce qui a manqué à Freud pour qu'il puisse se comparer à Galilée. Certes des contradicteurs se sont exprimés par la suite, mais contrairement à ce qu'affirment les légendes freudiennes ils ont accueilli plutôt favorablement ses théories, et surtout ces disciples des premières heures n'ont jamais contesté la règle freudienne de l'isolement et du subjectivisme en acceptant de se transformer en prosélytes de sa nouvelle doctrine. Mais j'aurais dû comparer Freud à Einstein. Il suffit d'imaginer Einstein, écrivant sa théorie de la relativité, faisant ses propres tests, sans aucun contrôle, écrivant un beau livre où il affirme la valeur scientifique de ses recherches, puis demandant à tout le monde de le croire tout bonnement sur parole, de lui faire entièrement confiance, et en plus, de transmettre sa bonne parole, par le simple jeu du bouche-à-oreille, et aussi en interdisant toute réunion à plusieurs, dans des laboratoires, pour vérifier ses théories...
Avec la toute dernière phrase de Freud, on se demande comment certains freudiens aient pu s'indigner des critiques démontrant que pour s'attaquer à la psychanalyse, il faut s'attaquer au personnage freudien. En effet, puisque la psychanalyse est née à partir du seul Sigmund Freud, dans le cadre intime de son auto-analyse, et si, partant de cette matrice, le reste du monde, ne pourra la connaître désormais que par ouï-dire sur la base d'une confiance totale dans le Père fondateur ; alors si la police du passé (Borch-Jacobsen & Shamdasani ; mais aussi Bénesteau, Sulloway, Ellenberger, Cioffi, Crews, Van Rialler,...) met en évidence que Freud a menti, fabulé, suggéré, contrefait, etc., le lien de confiance qui lie Freud à tous ses lecteurs et auditeurs est rompu, et si ce lien est rompu c'est tout l'édifice qui s'effondre.
Voici encore d'autres propos de Freud, tirés du même livre, page 9 et 10 :
« Et, maintenant, vous êtes en droit de me demander : puisqu'il n'existe pas de critère objectif pour juger de la véridicité de la psychanalyse et que nous n'avons aucune possibilité de faire de celle-ci un objet de démonstration, comment peut-on apprendre la psychanalyse et s'assurer de la vérité de ses affirmations ? (...) On apprend d'abord la psychanalyse sur son propre corps, par l'étude de sa propre personnalité. (...) Il va s'en dire que cet excellent moyen ne peut toujours être utilisé que par une seule personne et ne s'applique jamais à une réunion de plusieurs ».
Commentaires : Freud reconnaît donc qu'il n'existe aucun moyen de vérifier de manière objective les affirmations de la psychanalyse. Pourtant il affirmera que c'est bien une science faisant de lui l'égal de Galilée, Copernic ou Newton. Il faut donc apprendre la psychanalyse, en ayant d'abord entendu la bonne parole freudienne par ouï-dire, puis à l'aide de ses négatifs, les poser sur son propre télescope de l'âme pour y redécouvrir les délires de Freud à la lumière fournie par les visions du Maître. Et surtout ne pas se réunir à plusieurs, ce qui évitera le risque que les nouveaux disciples ne pensent à quelque moyen de contrôle indépendant, intersubjectif, ou une discussion critique sur le vif. Freud était vraiment astucieux. Sachant pertinemment que sa méthode n'était ni scientifique, ni objective et qu'elle ne pouvait être démontrée, il se trouva devant un cruel dilemme : dois-je dire que je suis un scientifique ou un Conquistador ? Tout le poussa à choisir la deuxième voie, la soif de pouvoir, de gloire et d'argent étant nettement plus forte chez lui que tous ces petits scrupules rationnels et scientifiques. Mais pour que la mayonnaise puisse monter, il avait besoin d'un autre énorme coup de poker : faire accepter que chacun travaille séparément sur ses théories, et puis revienne devant lui pour parfaire son dressage. Surtout pas de laboratoire de recherche, (jamais de réunion à plusieurs, comme il l'écrit si bien), que chaque individu face seul son propre dressage, en acceptant de devenir un clone de la pensée du Maître, totalement dépendant de lui. Totalitarisme...
Personne n'a jamais eu vent des variables indépendantes que Freud a pu manipuler, seul, et dans sa propre tête, afin de prouver les fondements de la psychanalyse, tout simplement parce qu'il n'est pas possible qu'un individu s'introspectant lui-même tout en décidant seul de la manière de s'introspecter, et, de surcroît, en pensant que ses méthodes d'introspection sont inédites, puisse recourir à d'autres variables ne dépendant que de lui-même et de ses propres préjugés les plus intimes. Il n'était donc évidemment pas question de pouvoir manipuler la moindre variable indépendante ou hypothèse alternative dans des conditions aussi isolées, subjectives et partiales que furent celles de l'auto-analyse de Sigmund Freud. On peut même dire qu'en pareil cas, il ne s'agit même plus d'une méthode...
Et quand bien même Freud aurait-il tenté de manipuler un concept ou une variable issus de la recherche scientifique qui le précédait, bref, de quelque chose d'extérieur, apriori à sa propre personne, puis dans sa propre personne, cela ne pouvait pas davantage tenir lieu de méthode valide pour prouver quoique ce soit. Car, l'élément fondamental est l'isolement délibéré et le rejet explicite et répété de tout contrôle indépendant, de toute discussion critique, que ce soit avant, pendant, ou après ses prétendues recherches ou autres expérimentations. On ne pourrait, par exemple, comparer Freud à certains de ces pionniers de la recherche médicale qui s'injectent un virus pour en mesurer les effets. Car dans cette situation, une bonne partie des éléments de l'expérimentation est extérieure au sujet, est empirique, mesurable, donc objectivable, prédictible, et contrôlable de manière indépendante. Dans le cas de Freud, tout, absolument tout s'est déroulé dans l'intimité la plus hermétique et légendaire d'autant qu'à son époque, Freud ne pouvait disposer d'instruments qui, sur la base de ses goûts originaux pour la neurologie, par exemple, lui aurait permis de tenter d'objectiver ses investigations (I.R.M. ; scanner ; électro-encéphalogramme ; etc...). Enfin, il n'y a jamais eu, dans aucun des livres que Freud a pu écrire, le moindre compte rendu de recherches quantitatives et statistiques sur ses délires théoriques, et, encore moins, le moindre protocole de recherche expérimentale, méthode qu'il rejeta d'ailleurs de la manière la plus claire en réponse à Saul Rosenzweig : « J'ai examiné avec intérêt vos études expérimentales en vue de la vérification des propositions psychanalytiques. Je ne peux pas accorder une très grande valeur à ces confirmations, car la profusion d'observations fiables sur lesquelles reposent ces assertions [psychanalytiques] les rend indépendantes de toute vérification expérimentale » (In Borch-Jacobsen & Shamdasani, Le dossier Freud. Enquête sur l'histoire de la psychanalyse. Pages 204 - 205).
...Mais le télescope aussi était très spécial. Il était né et demeurait dans la tête de Freud. Personne d'autre que lui ne pouvait le manipuler, le vérifier, ni bien sûr, en avait pu contrôler la fabrication. Il se présentait comme le tout premier du genre, et n'était pas l'objet indépendant dont tout scientifique a un impérieux besoin. Il lui permettait de découvrir dans son esprit ce que son esprit lui indiquait de voir, tout en étant né de son seul esprit... Merveilleux.
Une fois que l'aventure intérieure fut terminée, il tenta alors d'orienter son télescope vers d'autres sujets que lui-même. Et là, chose merveilleuse, les négatifs fonctionnaient aussi. Freud retrouvait sans arrêt des confirmations de ce qu'il voulait voir. Et surtout, il interdisait à quiconque de modifier les réglages du télescope qu'il avait légué. On ne pouvait en modifier la position, ni même en changer les négatifs sans respecter les préceptes du Maître. Il fallait toujours se référer au Maître qui orientait toujours le regard et même l'inconscient de ceux qui étaient initiés puis autorisés à manipuler le télescope. Ceux qui voulait regarder ailleurs, qui ne voyait pas les objets du Maître, ou qui prétendaient voir le contraire de ce que le Maître indiquait de voir, ceux-là, tels d'infâmes hérétiques étaient excommuniés du Cercle des initiés ou bien étaient considérés comme des malades, car leurs esprits pervertissaient l'esprit du Maître, lequel tout en enfantant le télescope avait dû se purifier au même instant de toutes les perversions et autres névroses qui circulairement auraient empêché cette naissance. La lunette magique permettant de voir les premières névroses connues et observées par le génie freudien ne pouvait elle-même être pervertie par ces mêmes névroses que Freud soigna seul en lui-même pour autoriser sa propre naissance ! Naissance qui ne s'autorisa donc que d'elle-même (Borch-Jacobsen). Freud imagina donc seul et sans témoin qu'il y avait des névroses dans son âme, afin de pouvoir les soigner, et se montrer en premier vainqueur de l'inconscient qu'il avait lui même fabulé. Il est permis de penser que même un serpent se mordant la queue n'aurait pu aller aussi loin que lui pour fermer le cercle, et que c'est à force de se torturer ainsi l'esprit pour y chercher, en vain, une substantifique moelle, que Freud devint enclin à nous faire avaler des couleuvres...
Freud avait donc perçu l'immense danger qui menaçait la crédibilité de son télescope une fois qu'il fut ainsi sortit de sa propre tête d'où il était manipulé par ses propres pensées. Il n'était pas à mettre entre toutes les mains. Ce télescope ne devait donc pas sortir du Monde 2, subjectif et freudien pour risquer de subir les affres et autres assauts du Monde 3 de la connaissance objective. Il fallait donc que chaque prochaine tête dans laquelle il devait être inséré, fut le plus possible semblable à la sienne. Des initiés, un Comité Secret, une bague d'alliance, et d'autres rites sectaires (H. Ellenberger ; Bénesteau) gage de fidélité absolue, tant par l'esprit que par le corps, étaient devenus logiquement nécessaires. Ainsi, le télescope restait toujours la propriété du Maître, de son Monde 2, à jamais dépendant de sa propre personne, lui qui avait été le premier et unique témoin de l'auto-fabrication de l'œil universel...Et qu'arriva-t-il après la mort du Maître lorsque Lacan entreprit de débarrasser l'auto-analyse de Freud de ce morceau de névrose qui portait un préjudice si décisif à la légende ? « L'œil était dans la tombe et regardait Sigmund »...
Ce télescope n'en tolérait aucun autre, sinon c'eût été avouer clairement que l'Esprit du Maître s'était peut-être trompé, donc avait été pervertit, à sa source, par le Maître lui-même, puisqu'il avait été le seul témoin de sa naissance (Borch-Jacobsen ; Lacan ; Haddad). Le Maître était devenu un "Dichter" (Borch-Jacobsen ; "Le sujet freudien"), voire un Duce, ou une sorte de Führer, ne tolérant personne d'autre que lui et obligeant tous ses initiés, non seulement à porter toujours le même uniforme de l'Esprit, à se promener partout avec cet uniforme au même pas cadencé et avec l'arrogance intellectuelle de ceux qui pensent avoir triomphé sans partage, mais aussi à se muer en "Big brothers" du tout un chacun dans le monde. Tous les "Big brothers", clones de Freud, avaient maintenant pour mission de ramener l'immense troupeau humain sur les chemins humiliants et infantilisants de la reconnaissance de leurs prétendues névroses. La victoire totale de cette véritable blitz krieg de la psychologie qu'avait entamé Sigmund Freud, lançant ses "hordes sauvages" à l'assaut de la civilisation, était consommée lorsque d'autres non initiés devenaient à leur tour des "Big brothers" capables de superviser ou de soigner (y compris et surtout contre leur gré) toute brebis égarée qui ne se serait pas encore prosternée devant le nouvel Esprit du temps (Hegel).
Freud et son télescope réussit à concevoir et à mettre en branle un système totalitaire parfait. « Les formes de l'organisation totalitaire (...) sont destinées à traduire les mensonges de la propagande, ourdis à partir d'une fiction centrale (...) en réalité agissante ; à édifier, même dans des circonstances non totalitaires, une société dont les membres agissent et réagissent conformément aux règles d'un monde fictif. » (Hannah Arendt. « Le système totalitaire », Seuil, 1972, p. 91). La fiction centrale de Freud c'est son postulat déterministe faramineux et la théorie de l'inconscient qui lui est associée. Fiction parce que ce déterminisme-là, aussi extrémiste, ne peut avoir aucune valeur explicative, descriptive ou prédictive. Un tel déterminisme ne peut donner lieu à aucune loi causale qui puisse être corroborée ou réfutée par l'expérience. Elle n'a donc aucune prise sur le réel, et ne peut être fondée à partir de lui. Elle est centrale, enfin, parce que comme l'ont remarqué d'autres grands penseurs comme Levy-Strauss ou Bouveresse, elle organise toute la psychanalyse de la théorie à la pratique thérapeutique fondée sur l'interprétation des associations dites libres, en passant par l'infernale mauvaise foi des freudiens et leur goût immodéré pour les acrobaties rhétoriques. En effet, comment voulez-vous que quelqu'un qui pense que tout ce qu'il propose se justifie sur la base d'un déterminisme capable d'exclure tout hasard et tout non-sens, ne puisse être éternellement porté à aussi penser qu'il doit toujours avoir raison, et à avoir le dernier mot sur tout...? Mensonges et propagande légendaire sur le rêve princeps de l'injection faite à Irma (Wilcocks), et sur Anna O. ; mensonges et propagande légendaire sur tous les autres grands cas traités par Freud (Ellenberger ; Bénesteau) ; mensonges et propagande encore sur sa correspondance, sur son auto-analyse, sur ses données cliniques, sur tout. Le mensonge dans le cas de la psychanalyse est à l'image de son créateur : lui aussi, il est pour ainsi dire « total »."
(...); la suite sur le lien,
http://www.psychanalyse-paris.com/forum … &t=532
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