Christelle Moreau — 06-10-2010 10:38

Robert Walser, le promeneur ironique

« Ces temps-ci, je salue une jeune fille que je vois chaque jour et ceci d’une manière, qui sort tout à fait de l’ordinaire ; je ne m’incline pas, bien au contraire, je lance ma tête vers le haut comme le font les soldats à la vue de leurs supérieurs.
La jeune fille fut déjà passablement déconcertée. Quel regard sérieux je lui lance à chaque fois ! Elle tressaille lorsque je la salue, s’enfuit comme si elle prenait peur. C’est à son endroit uniquement que j’adopte cette forme de salut fier et véritablement grandiose. Que signifie donc ceci ? Je veux le dire. Elle est employée dans une librairie, dans une librairie et maison d’édition et c’est son métier que je salue en elle.
Je salue l’ensemble des œuvres nées de l’esprit qui se trouvent dans sa librairie ainsi que dans toutes les autres. Jamais salut ne fut si provocateur et si apte à commander le respect. Elle ose à peine me regarder, mon salut l’a rendue toute timide, mais cela ne fait rien. De toute manière, j’ai fait de l’effet sur elle comme font des poètes sur leurs lecteurs. Elle ne me comprend pas vraiment, cela s’explique aisément. Comment peut-elle en venir à l’idée que je tienne à me respecter moi-même par ce salut spécial. Il y a des saluts machinaux, mais il y en a aussi de très conscients. Est-ce que je tourmente la jeune fille ?
Tant pis ! Elle apprend ainsi une fois dans sa vie de quelle manière se comportent les écrivains qui connaissent leur valeur. »
Robert Walser [17] pour ici saluer un livre qui renouvelle brillamment l’approche de l’oeuvre, d’un point de vue inédit.

Psychiatre, psychanalyste, très concerné par les questions d’éducation [18], Philippe Lacadée, propose avec ce nouveau livre [19] comme un Walser par Lacan, dont la quatrième indique qu’il éclaire aussi bien le psychanalyste que le poète.
Fort judicieusement, après une préface empathique de Philippe Forest, c’est « Walser à propos de Walser » qui accueille le lecteur, avec ces mots propres à éveiller l’attention de l’analyste :

Quand j’exerçais réellement les fonctions d’un « homme à tout faire » me doutais-je seulement qu’un « roman du réel » pourrait sortir de ce fragment de vie, que d’un acte réel, pourrait sortir un acte littéraire ? Oh non, pas le moins du monde !
Walser vivait déjà, dormait déjà, écrivait déjà, fort peu il est vrai.
Mais comme il s’abandonnait à la vie sans s’y intéresser, c’est-à-dire, sans se soucier de gribouiller, ou disons, sans rien écrire encore, il écrivit son Homme à tout faire des années plus tard, après coup donc. Il ne mourrait pas du désir inassouvi de publier un livre.

Le ton est donné, et l’ironie de Walser, conduit à donner une Leçon de l’ego : Être un « ravissant zéro tout rond » et son exégète de démontrer qu’il y a bien là non pas une attitude esthétique, mais une position éthique., car comme l’énonce ailleurs Walser : « Quiconque se comporte bien a du style. »

Inséparablement, Philippe Lacadée possède les deux, position éthique et style. Il faut prévenir le lecteur, pas moins de deux lectures sont nécesssaires, celle qui revisite l’oeuvre de Walser en incluant les dernières parutions, en particulier le Territoire du crayon, - à juste titre Philippe Lacadée souligne sa rencontre décisive avec le travail de Peter Utz, ensuite sans doute raccorder les différentes parties de l’essai au regard des concepts analytiques dans leurs rapports avec les questions d’écriture que suscite l’oeuvre de Walser.

Editions Cecile Defaut - préface de Philippe Forest - postface de Sacha Zilberfarb deux textes de Charles Méla

Ce livre s'ancre dans la réalité du rapport à la langue qui concerne au plus près de sa vie chacun de nous

jeudi 14 octobre · 20:30 - 22:00
Lieu    Librairie Tschann 125 Bd du Montparnasse Paris 6ème